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Les projets d’infrastructures chinois dans le monde ont été stoppés par la pandémie. Nombre de pays débiteurs ne peuvent rembourser leurs prêts. Pékin s’adapte.
Pièce maîtresse de la politique étrangère du président chinois Xi Jinping, les Nouvelles routes de la soie sont à leur tour touchées par le Covid-19. Nombre de projets ont été mis en attente, quelques-uns ont même été annulés. En février, l'Egypte a suspendu la construction, financée par des fonds chinois, de ce qui devait être la deuxième plus grosse centrale à charbon du monde. Le Bangladesh, le Pakistan et la Tanzanie ont eux aussi abandonné des chantiers ou demandé de meilleures conditions de remboursement à leurs créanciers chinois. Quant au Nigeria, il a annoncé le mois dernier son intention de réexaminer les financements accordés par Pékin. Les dirigeants africains ont collectivement demandé à leurs créanciers souverains, parmi lesquels la Chine, des mesures d'allègement d'urgence de la dette. Le continent noir doit en effet cette année rembourser 8 milliards de dollars sur les 145 milliards que Pékin lui a prêtés pour des projets dont beaucoup sont liés aux Nouvelles routes de la soie.
Se sentant – non sans raison – menacés d’encerclement à la fois commercial, géostratégique et militaire, les Indiens sont extrêmement suspicieux et craintifs vis-à-vis de l’initiative Belt and Road chinoise, qu’ils tentent de contrecarrer de diverses manières.
Durant le premier forum Inde-Asie centrale tenu à Bichkek en juin 2012, le ministre des Affaires extérieures de l’Inde, Edappakath Ahamed, dévoilait la Connect Central Asia Policy en grande pompe. Quelques mois plus tard, l’annonce du projet de la nouvelle route de la soie par la Chine en 2013 et le déblocage de crédits nécessaires à sa réalisation en novembre 2016 indisposaient les Indiens. Affirmant de pas avoir été consultés, les Indiens sont toujours réfractaires à ce projet pour de multiples raisons.
Dans le « Grand Jeu » pour la domination de l’Asie centrale, le pionnier de la géopolitique, Halford MacKinder, émettait la thèse que la domination terrestre du couloir euro-asiatique garantissait la domination du monde. Quarante ans plus tard, Spykman avançait l’idée que c’était la domination maritime sur les flux commerciaux qui garantissait la puissance. Plus récemment, une série de publications relisaient la thèse du Grand Jeu en y incluant la participation de l’Inde et de la Chine (1). Or, si l’Inde n’a que très peu d’emprise sur la route terrestre, la route maritime constitue pour elle un enjeu vital.
Ainsi, plusieurs observateurs indiens perçoivent les routes de la soie comme étant la confirmation d’un désir de domination chinoise sur le corridor euro-asiatique qui encerclerait l’Inde, limitant sa capacité à bénéficier du commerce intercontinental. Plus grave encore, la croissance de l’influence politique de la Chine en Asie centrale menacerait la sécurité indienne. Pour Nirupama Rao, ex-ambassadeur de l’Inde en Chine et aux États-Unis, l’initiative des routes de la soie est même l’expression d’un hard power chinois croissant à la fois dans les mers asiatiques et en Asie continentale (2).
Capter le flux commercial
Sur terre
Quels que soient les cartes et les plans des routes de la soie terrestres, on ne peut que constater que très peu de connectivité infrastructurelle est prévue avec l’Inde. Le corridor sino-pakistanais reliant Kashgar au port de Gwadar contourne l’Inde, alors que le corridor Bangladesh-Chine-Inde-Birmanie (BCIM) permet à la Chine d’atteindre la baie du Bengale par la Birmanie.
Outre le pétrole et le gaz, les minerais importés par la Chine pourraient également utiliser le corridor sino-pakistanais. Dans cette perspective, la Chine a investi 3,5 milliards de dollars pour l’acquisition de la mine de cuivre d’Aynak, en Afghanistan, par la China Metallurgical Group Corporation, et pour la construction d’un chemin de fer reliant la province de Logar, au sud de Kaboul, à la ville-frontière pakistanaise de Torkham. En plus du gisement de cuivre, les Chinois sont intéressés par le fer et les mines d’or du pays. Le corridor répondra au manque d’infrastructures afghan et entre dans le cadre d’un projet plus vaste pour l’Asie centrale. La puissance économique de la Chine doit ainsi agir comme un aimant attirant les importations et laissant l’Inde et la Russie sur leur faim.
La question de la connectivité entre l’Inde et l’Asie centrale (qui n’ont pas de frontière commune), revêt donc une importance primordiale. Or, pour rejoindre l’Asie centrale, l’itinéraire le plus court en partant d’Inde passe par le Pakistan et l’Afghanistan. Étant donné que l’hostilité du Pakistan envers l’Inde et sa coopération avec la Chine sont évidents, la connectivité terrestre avec l’Asie centrale reste problématique. Le peu de connectivité entre l’Inde et l’Asie centrale la forçait à se fier jusque-là malgré tout au transit pakistanais pour commercer avec l’Afghanistan, incapable de s’entendre avec le Pakistan sur un traité qui aurait permis des tarifs suffisamment bas pour ne pas pénaliser les importations et exportations de l’Afghanistan. L’ouverture en octobre 2017 du port iranien de Chabahar permet désormais à l’Inde de contourner le corridor sino-pakistanais tout en transitant par l’Iran et désenclave l’Afghanistan vers le sud. Cette nouvelle route, élaborée sans l’aide de capitaux chinois, non seulement sert à sécuriser les échanges commerciaux de l’Inde avec l’Afghanistan, mais elle mine aussi la capacité pakistanaise à faire monter les enchères pour tout transit sur son territoire (3).
Pour contrecarrer les routes de la soie terrestres chinoises, l’Inde riposte également avec d’autres partenaires comme l’Iran et la Russie, qui projettent une route intermodale avec le projet North-South Transport Corridor reliant Mumbai à St-Petersbourg, via Téhéran et Bakou. Ce projet augmentera nécessairement le commerce bilatéral, anémique aujourd’hui (sauf dans le secteur de l’armement), entre l’Inde et la Russie. Également, le projet d’autoroute trilatérale Inde-Birmanie-Thaïlande permettra au Nord-Est de l’Inde, pratiquement enclavé, d’accéder à de nouvelles routes vers l’Asie du Sud-Est. Les routes indiennes vers le Sud-Est asiatique sont primordiales, car elles faciliteront les exportations indiennes qui plafonnent vers cette région.
Sur mer
L’océan Indien est loin d’être l’océan des Indiens. L’arrivée de la Chine en océan Indien indispose New Delhi, qui voit se multiplier des installations portuaires où battent les pavillons chinois. Gwadar au Pakistan est sans doute celui que craint le plus l’Inde : un port financé et géré par la Chine qui pourrait toujours abriter des destroyers chinois en cas de conflits maritimes ou de piraterie. En juillet 2017, les autorités srilankaises signaient avec Pékin une entente similaire à celle de Gwadar, pour ses installations portuaires de Hambantota. En décembre 2016, la Chine concluait une multitude d’ententes pour les ports du Bangladesh, d’une valeur de 21 milliards de dollars. Les contrats de construction des infrastructures portuaires transportant les hydrocarbures vers les raffineries de Chittagong furent octroyés aux Chinois en octobre 2017, confirmant l’emprise de la Chine dans le transport maritime des denrées qu’importent et exportent les voisins de l’Inde.
Pour concurrencer les routes de la soie maritimes de la Chine, l’Inde et le Japon ont lancé l’Asia Africa Growth Corridor (AAGC) en novembre 2016. Ce projet vise à relier le Japon, l’Océanie, l’Asie du Sud-Est, l’Inde et l’Afrique, continent de plus en plus sino-centré. Le retard du projet Kaladan, en Birmanie, qui visait lui aussi à limiter la dépendance birmane envers les infrastructures proposées par la Chine, a poussé les autorités birmanes à octroyer aux Chinois l’exploitation et le transport par gazoducs des trillions de mètres cubes de gaz naturel au large de l’État de Rakhine vers le Yunnan.
Dans les négociations
D’un point de vue commercial, les routes de la soie favorisent la Chine dans le commerce euro-asiatique, puisque ces infrastructures est-ouest favorisent une croissance des exportations de biens, une force majeure du pays. Ces infrastructures permettront également à la Chine d’importer plus facilement des matières premières en les réexpédiant en produits finis. Pour l’Inde, cette concurrence accrue de la Chine met en péril le développement du parc industriel national, essentiel à la création d’emplois dans un pays peuplé de jeunes.
En augmentant son interdépendance économique avec les pays traversés par les routes de la soie, la Chine accentue son influence au sein des négociations du Partenariat économique global régional (RCEP). S’il devient une réalité, le RCEP sera le plus grand accord commercial de libre-échange au monde, incluant plus de 45 % de la population mondiale, et premier accord de libre-échange entre la Chine et l’Inde. Alors qu’il en est à sa 20e ronde de négociations, la Chine impose sa vision en faveur de plus amples concessions sur les échanges de biens, et non de services comme le désire l’Inde. Initialement lancés par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), il y a cinq ans, les pourparlers doivent se conclure bientôt et tout arrangement tarifaire risque de bénéficier à la Chine. L’Inde, jugée trop protectionniste par les autres parties au RCEP, devra abaisser ses tarifs douaniers. Mais, contrairement à la Chine, l’Inde compte une société civile vigilante et revendicatrice, qui peut défaire les gouvernements et remettre en cause le chemin de la libéralisation. Par exemple, c’est plus de 90 millions de paysans indiens qui arrondissent leurs fins de mois par la production laitière et une déréglementation de l’industrie occasionnerait de grandes manifestations paralysantes. Bien que majoritaire en ce moment, le gouvernement indien peut difficilement abandonner ses politiques protectrices, contraires à l’esprit du libre-échange. Il en va de même pour le secteur industriel, qui n’est tout simplement pas capable de rivaliser avec celui de la Chine, hormis quelques industries comme le textile ou la pharmaceutique. Avec une initiative des routes de la soie sino-centrée, l’Inde aura encore plus de difficultés à se joindre aux chaines de valeurs asiatiques.
Inquiétudes géopolitiques
Le programme de connectivité d’infrastructures accroitra aussi l’influence stratégique de la Chine dans les zones maritimes concernées par les nouvelles routes de la soie et qui comprennent l’océan Indien, les eaux de la baie du Bengale et la mer d’Oman. Cette activité chinoise inquiète l’Inde, acteur géopolitique prédominant dans cet espace maritime. Sa préoccupation principale est de savoir si les nouvelles infrastructures, liées à la Chine et financées par elle, seront utilisées à des fins militaires et stratégiques.
Le gouvernement indien est également particulièrement inquiet au sujet du corridor sino-pakistanais qui comprend des projets sur le territoire cachemiri que l’Inde revendique. C’est pourquoi il a fait pression pour l’inclusion d’une disposition au sein de la Charte de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (censée financer certains projets de l’initiative des routes de la soie et dont elle est membre) selon laquelle, dorénavant, l’approbation unanime des projets financés en territoires contestés est requise. La localisation géographique du Pakistan coupe l’Inde d’un accès direct vers l’Afghanistan, alors que son emplacement stratégique permet à la Chine de contenir, ou du moins de remettre en cause, la montée en puissance d’une Inde comme puissance terrestre et maritime. En Asie du Sud, les réalités du « trois quart indien » (l’Inde représentant 75 % de la population, du PIB et du territoire régional) poussent les petits pays comme le Sri Lanka, la Birmanie et le Bangladesh à accueillir à bras ouverts la présence chinoise pour lui faire contrepoids. Et les différents ports de ces pays permettent à la Chine d’étaler son collier de perles en limitant la capacité indienne à contrôler l’océan Indien.
Avec la crise et les craintes liées à la dette des pays, le projet phare de la Chine traverse une phase critique. Pékin entend amplifier les « routes sanitaires », lancées en 2017, pour regagner la confiance alors que les offensives des puissances occidentales se multiplient.
Le nouveau coronavirus va-t-il confiner la Chine contre son gré ? À l’aune de la pandémie, les Nouvelles Routes de la soie, grand contre-projet de civilisation porté par le président Xi Jinping depuis 2013, ont – temporairement au moins – du plomb dans l’aile. Censée fédérer autour de l’idée d’un développement partagé, la Ceinture terrestre et maritime a du mal à ignorer la nouvelle donne créée par le Covid-19 : rupture des chaînes d’approvisionnement, restriction des voyages et contrôles stricts aux frontières… Déjà, les retards et les dépassements des coûts se font sentir sur les chantiers, et interrogent leur viabilité. « Les entreprises publiques centrales ont connu des retards dans les contrats en cours, une baisse des nouvelles commandes et des risques pour l’approvisionnement en matières premières », explique Xia Qingfeng, chef du service de publicité de la Commission d’État chinoise de supervision et d’administration des actifs.
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Main-d’œuvre et monnaie
Ainsi en va-t-il, en Indonésie, de la ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Jakarta à Bandung, bâtie par un consortium sino-indonésien (Kereta Cepat Indonesia-China, Kcic). « La pandémie de Covid-19 a retardé la livraison de matériel importé de Chine. Les experts chinois ne sont pas encore revenus parce que les conditions ne sont pas encore favorables », confirme Chandra Dwiputra, président-directeur général de Kcic. Comme pour l’ensemble des projets en cours sur la Route de la soie, les restrictions imposées par la Chine ont empêché les 300 travailleurs – un cinquième de la main-d’œuvre du projet indonésien – de reprendre les travaux, qui doivent pourtant avancer. L’emploi d’ouvriers chinois plutôt que de travailleurs locaux est d’ailleurs l’une des critiques formulées à l’égard des Routes de la soie et pourrait aujourd’hui pousser Pékin dans ses contradictions.
Vishnu Bahadur Singh, de la fédération népalaise de l’industrie hydroélectrique, admet que « beaucoup étaient des ouvriers spécialisés, difficiles à remplacer localement ». La défiance règne pourtant à leur égard, compliquant la reprise. « La plupart de nos collègues chinois veulent revenir, mais les employés locaux restent effrayés à l’idée de les côtoyer », concède un contremaître chinois à l’AFP. Le Bangladesh, lui, n’accorde plus aucun visa aux ressortissants chinois, mettant de fait en suspens la construction de la centrale électrique de la Bangladesh-China Power Company à Payra (Sud), qui emploie quelque 3 000 Chinois. Aux prémices de l’épidémie, en janvier et février, 39 000 ressortissants de la seconde puissance mondiale ont été envoyés à l’étranger, soit 29 000 de moins qu’en 2019 à la même période.
Autre problème : celui de la baisse de la valeur des monnaies. Le gouvernement sri-lankais, qui avait donné son accord à plusieurs projets stratégiques qui permettaient à la Chine de s’insérer dans l’environnement proche du rival indien, a mis en œuvre une interdiction totale de l’importation de produits dits non essentiels afin d’endiguer le glissement de la roupie et préserver ses réserves de change. Les importations d’équipements et de machines de construction ont en conséquence subi un coup d’arrêt. Et de toucher ici à un autre problème soulevé par les Nouvelles Routes de la soie, celui de l’endettement pour des projets dont l’utilité est remise en question face aux besoins actuels des populations. Au Sri Lanka, c’est le cas du Colombo Financial District, une presqu’île artificielle qui doit abriter une cité financière internationale, une marina, des hôtels et enseignes de luxe et un casino, pour un coût total de 1,27 milliard d’euros.
Formation, prévention, recherche
Face à des pays au bord de l’insolvabilité, la crise du coronavirus pourrait ainsi relancer les interrogations autour des Routes de la soie, conçues comme un soutien à la croissance chinoise, un débouché pour ses entreprises et un relais hors de ses frontières.
Plutôt que d’y mettre un frein définitif, les pays tiers devraient donc étudier avec davantage de précision la viabilité des projets, car le développement des infrastructures pourrait jouer un rôle de stimulus économique à l’échelle mondiale pour entamer la sortie de crise. Les dommages ne sont donc pas irréparables. D’autant que la Chine possède une capacité d’adaptation extrêmement rapide lorsqu’elle identifie un problème.
Ainsi, aux critiques qui font valoir que les Routes de la soie ont permis de faire circuler le virus, Pékin répond qu’elles sont un projet multidimensionnel qui recèle une dimension de recherche et d’échanges universitaires capables de relever les futurs défis. Cette « route de la soie sanitaire » comprend, par exemple, un volet de formation en Indonésie et au Laos, de prévention des maladies infectieuses en Asie centrale et dans la sous-région du Mékong et, ailleurs, de dotation en équipements médicaux. En 2017, le Forum de la Ceinture et la Route pour la coopération internationale, et une réunion à haut niveau à laquelle participaient trente ministres de la Santé et dirigeants d’organisations internationales concrétisaient cette idée. Dix-sept protocoles d’accord y ont été signés avec des pays mais aussi des agences de l’ONU. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, assure que « si nous voulons garantir la santé de milliards de personnes, nous devons saisir les opportunités offertes par l’initiative la Ceinture et la Route ». La crise actuelle, qui révèle les besoins criants d’infrastructures sanitaires dans certains pays, offre à la Chine une possibilité en ce sens. Et un moyen de regagner une confiance écornée.
La vallée de Ferghana était un passage incontournable des routes de la Soie, au confluent des civilisations grecque, chinoise, gréco-bactrienne ou encore parthe. Aujourd’hui, elle conserve un positionnement stratégique pour l’ensemble de la région et, en particulier, pour le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan qui se partagent son territoire.
La vallée de Ferghana est certainement une des régions les plus emblématiques de l’Asie centrale. Les projets d’infrastructures de transport, pour ambitieux qu’ils soient, témoignent tant des efforts limités de coopération entre les pays centrasiatiques que de la politique d’investissement raisonnée de la Chine.
S’étendant sur 300 kilomètres de long et 170 kilomètres de large, la vallée est quasiment intégralement entourée de montagnes, à l’exception de la ville tadjike de Khodjent. Le territoire s’étend sur pas moins de trois pays : le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
La vallée est également la région la plus peuplée d’Asie centrale. Avec plus de 15 millions de personnes, la population qui y vit représente quasiment un tiers de l’ensemble de la population des trois pays. La partie kirghize compte 3,5 millions d’habitants, la partie ouzbèke 9,5 millions et la partie tadjike 2,5 millions.
Au Kirghizstan, le territoire de la vallée de Ferghana est clé. Depuis la révolution de 2005, les fonctionnaires qui en sont originaires occupent des postes importants dans l’administration.
Près de 30 ans après la chute de l’Union soviétique, la question des frontières demeure en suspens. Depuis 1991, plusieurs conflits relatifs aux frontières ont eu lieu.
Si la vallée de Ferghana s’ouvre actuellement vers d’autres régions du Kirghizstan, du Tadjikistan et d’Ouzbékistan, la communication à l’intérieur de la vallée elle-même était paradoxalement gelée jusqu’à récemment.
Un réseau routier en développement depuis 1991
L’apparition de frontières nationales à la chute de l’URSS en 1991 a fortement perturbé les transports et activités commerciales, qui étaient jusqu’alors naturellement interconnectées.
Depuis la chute de l’URSS en 1991, deux routes uniquement connectent la vallée de Ferghana au Kirghizstan : Bichkek – Och et Djalal-Abad – Kazarman, cette dernière étant impraticable d’octobre à avril en raison de l’impossibilité de franchir le col de Sary-Kyr en hiver, avec des voitures parfois coincées même au mois de mai. La liaison ferroviaire Djalal-Abad – Tachkent – Bichkek a quant à elle été interrompue en 1993. Le Kirghizstan a ainsi été confronté à la nécessité de restaurer la route Bichkek – Och et de construire une alternative en remettant en état le réseau routier qui contourne l’Ouzbékistan.
En ce qui concerne le Tadjikistan, celui-ci a dû faire face à la nécessité de restaurer la route Douchanbé – Khodjent, fermée durant l’hiver depuis la construction des tunnels du Chahristan et de l’Istiklol.
Tant au Kirghizstan qu’au Tadjikistan, les marchandises acheminées par la route le sont pour un coût sensiblement supérieur à celui du transport ferroviaire. A titre d’exemple, en 2017, selon Kyrgyz Temir Jolu, la compagnie nationale de transports kirghize, le transport d’une tonne de carburant de la gare d’Omsk à la gare de Kara-Balta coûtait 2 436,50 soms (27 euros). Ensuite, l’acheminement par camion de la gare de Kara-Balta à Och coûtait 2 860 soms (32 euros). En 2018, le transport d’une tonne de carburant par chemin de fer du poste de contrôle de Saryaghach vers Khodjent coûtait environ 4 000 soms (environ 50 euros).
Enfin, les communications entre l’Ouzbékistan et la province de Soghd, au Tadjikistan, passent obligatoirement par le col de Kamtchik.
Principaux itinéraires reliant la vallée de Ferghana à Bichkek, Douchanbé et Tachkent
Le Kirghizstan peine encore à trouver des contournements efficaces
Pour relier le nord et le sud du Kirghizstan, il est nécessaire de franchir la crête de Ferghana avant d’emprunter soit les crêtes de Suusamyr et de Kirghiz et les vallées de Ketmen-Tioubin et de Suusamyr, soit la crête de Moldo-Too et les vallées de Djoumgal et de Kotchkor. L’accès est donc garanti de deux manières. Des sommes importantes ont été consacrées à la construction de tronçons supplémentaires dans la partie kirghize de la vallée ainsi qu’à la restauration de routes existantes contournant les États voisins.
La construction de la route Nord-Sud devrait coûter 846 millions de dollars, dont 700 millions (83 %) via un investissement de la Banque d’exportation et d’importation de Chine. Autrement dit, avec une longueur totale de 430 kilomètres (200 kilomètres de nouvelles routes et 230 kilomètres à restaurer), chaque kilomètre de cette route coûtera près de 2 millions de dollars (1,7 million d’euros).
De 1996 à 2016, 2 521 milliards de dollars (2 141 milliards d’euros) ont été investis dans la construction de routes au Kirghizstan. Sur cette somme, 206 millions de dollars sont des aides financières, 213 millions sont issus de fonds propres du pays et les 2 102 milliards de dollars restants proviennent de prêts.
La restauration de chaque kilomètre de route coûte entre 0,7 et 1,5 million de dollars (0,6 et 1,3 million d’euros). En considérant une durée d’amortissement de 5 ans pour les nouvelles routes et de 3 ans pour les routes restaurées, on peut estimer ainsi le coût de la réhabilitation permanente des routes de montagne. Les dégâts sont principalement causés par les camions de marchandises, souvent surchargés.
Il semble probable que le Kirghizstan poursuivra sa politique d’emprunts pour remettre en état son réseau routier, et ce d’autant plus que, à ce stade, la possibilité de faire payer les régions concernées n’est abordée qu’avec prudence.
Au Tadjikistan, le passage vers la vallée est très cher
Contrairement au Kirghizstan, le Tadjikistan dispose d’une route reliant le nord et le sud du pays sans franchir de frontière, en traversant les monts de Zeravchan, Turkestan et Hissar. Cette route Douchanbé-Khodjent-Tchanak est longue de 336 kilomètres. Restaurée entre 2006 et 2013, elle a coûté 305 millions de dollars (259 millions d’euros), dont 290 millions (soit 95 % du coût total) investis par la Banque d’exportation et d’importation de Chine. La construction du tunnel du Chahristan, qui a coûté 85 millions de dollars (72 millions d’euros), était partie intégrante de ce projet.
La construction du tunnel d’Istiklol, ou tunnel d’Anzob, en partie financée par l’Iran, a quant à elle coûté près de 60 millions de dollars. Ces deux tunnels sont assez longs : 5 024 mètres pour celui d’Istiklol, 5 253 mètres pour celui de Chahristan, ce qui en fait les deux plus longs tunnels de la Communauté des États indépendants (CEI).
La route Douchanbé-Khodjent-Tchanak est gérée par la société privée IRS, qui est régulièrement l’objet de plaintes, en particulier émanant des autorités. Le péage imposé pour utiliser la route est particulièrement critiqué : 120 somonis (10 euros) pour une voiture et 600 somonis (49 euros) pour un camion. Cet argent sert à entretenir la route et rembourser le prêt contracté pour sa construction.
Or, l’absence d’alternative contraint tous les usagers à s’acquitter de ce péage. Les camions qui veulent contourner l’Ouzbékistan pour transporter les marchandises depuis le nord du pays doivent relier la gare de Kara-Balta au Kirghizstan à Douchanbé sur environ 1 288 kilomètres. Le coût total du transport d’une tonne de carburant de Kara-Balta à Douchanbé est de 3 180 soms (35 euros), sans compter les taxes et les frais tel que le péage de 4 678 soms (52 euros) par véhicule sur l’autoroute Douchanbé-Khodjent. Une tonne de carburant coûte donc au moins 3 600 soms (40 euros), auxquels s’ajoute un prorata du péage du camion en fonction de son chargement total. Au final, le coût est au minimum une fois et demi plus cher que celui du transport du même chargement d’Omsk à Kara-Balta.
Au total, 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) ont été dépensés pour la restructuration du réseau routier tadjik et 2,7 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros) sont nécessaires à sa remise en état.
L’Ouzbékistan entièrement autonome
L’Ouzbékistan a dû résoudre les problème de communications entre les trois provinces situées dans la vallée du Ferghana et le reste du pays. Comme le Tadjikistan, l’Ouzbékistan dispose d’une route unique, passant par le col de Kouramine, pour relier les deux parties de la République.
Les autorités ont décidé sur cette même route l’installation d’une ligne à haute tension, d’un gazoduc, et d’une ligne ferroviaire. La route traversant le col a été restaurée entre 2012 et 2018 pour un coût évalué à 140 millions de dollars (119 millions d’euros), selon le contrat initial.
Plus important encore, une ligne de chemin de fer a été construite à travers le col de Kamtchik. En juin 2016, le tronçon entre Angren et Pap a été inauguré. Le coût du projet, achevé en 32 mois, s’élève à 1,635 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros). Le tronçon est long de 123 kilomètres. Outre une route et un tunnel de 19 kilomètres, le projet comprenait la construction de 285 infrastructures.
L’Ouzbékistan est ainsi entièrement autonome en matière de transport. Le chemin de fer sert avant tout à l’acheminement du fret. Les entreprises de la vallée du Ferghana sont désormais approvisionnées en matières premières et expédient des produits en retour sans franchir de frontière. Auparavant, la ligne traversait le territoire de la province de Soghd, au Tadjikistan. Pas moins de 9,5 millions d’Ouzbeks de la vallée de Ferghana jouissent maintenant de voies de communication indépendantes avec le reste du pays.
La Chine, premier investisseur des projets d’infrastructures
Chaque pays a fait appel à des prêts extérieurs pour mettre en œuvre ses projets. Au Tadjikistan et au Kirghizstan, presque tous les travaux ont été financés par des prêts d’entreprises chinoises. L’Ouzbékistan n’a compté sur Pékin que pour construire son chemin de fer.
La Chine, pour qui la vallée de Ferghana représente une fenêtre sur le sud de l’Asie centrale et surtout pour l’Ouzbékistan avec lequel elle ne partage pas de frontière, ne se précipite pas pour investir dans des projets globaux de transport, préférant agir sur une base strictement bilatérale.
Pékin assume le risque en octroyant des prêts destinés aux projets d’infrastructures routières et de lignes électriques, tout en récupérant ensuite la majeure partie des investissements sous forme de commandes à des entreprises chinoises telles que China Road et TBEA.
La plupart des prêts octroyés par la Chine aux pays d’Asie centrale se concentrent sur les infrastructures. Au 1er janvier 2020, la dette extérieure du Tadjikistan s’élevait à 2,888 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros), dont 1,163 milliard de dollars (soit 40 % de la dette totale) destinés à la Banque d’exportation et d’importation de Chine. Le remboursement de cette dette a permis à la China Road & Bridge Corporation de restaurer la route Douchanbé-Khodjent-Tchanak et à TBEA de construire une ligne à haute tension et une centrale thermoélectrique à Douchanbé.
En mars 2019, la dette du Kirghizstan envers la Banque d’exportation et d’importation de Chine s’élevait à 1,704 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros), soit 45 % de la dette extérieure totale (3,795 milliards de dollars). Comme au Tadjikistan, cet argent a été consacré à la réparation et à la construction de routes, de lignes à haute tension et de la centrale thermoélectrique à Bichkek.
Début 2020, la dette extérieure de l’Ouzbékistan était estimée à 15,7 milliards de dollars (13,3 milliards d’euros), dont 3 milliards uniquement pour la Chine. Ces prêts ont servi à développer l’industrie chimique et pétrochimique, ainsi qu’à étendre le réseau ferroviaire.
À la différence du Tadjikistan et du Kirghizstan, où les prêts ont alimenté des secteurs rendus peu attractifs par la baisse des tarifs de l’électricité et la construction à perte de routes, l’Ouzbékistan a investi les sommes allouées dans des industries bien plus rentables, ce qui devrait à terme permettre de rembourser la dette, contrairement aux deux républiques voisines.
En outre, la majeure partie des dettes des trois États a servi à des projets de communication reliant la vallée du Ferghana et les régions voisines. Toutefois, seul Tachkent a diversifié les voies de communication, entre routes, lignes ferroviaires, lignes à haute tension et gazoduc. Le chemin de fer, en prenant en charge les convois exceptionnels, permettra d’épargner les routes.
Douchanbé et Bichkek, pour leur part, n’ont mis en place que des routes et des lignes à haute tension, dont l’entretien va nécessiter un afflux continu de fonds. Le Tadjikistan ne dispose que d’un seul itinéraire possible pour relier les deux parties du pays. Au Kirghizstan, la route existante a été remise à neuf et une seconde est en cours de construction, avec la possibilité de l’accompagner d’une nouvelle ligne ferroviaire.
Une coopération régionale embryonnaire
La vallée de Ferghana divise autant qu’elle rassemble. Jusqu’à présent, chaque État s’est attaqué aux problèmes de transport d’une manière autonome. La Chine, qui a fort à gagner à une amélioration du réseau routier, préfère négocier avec les pays sur une base bilatérale. Le manque de coopération et la méfiance des États les uns envers les autres les ont conduits à contracter des prêts à hauteur de 6 milliards de dollars auprès de Pékin via des entreprises chinoises qui ont participé aux chantiers.
Le défi pour les dirigeants nationaux est de s’accorder à long terme sur leurs projets. On peut en effet penser qu’il est plus avantageux de compter sur ses voisins que d’échafauder des itinéraires impossibles en bravant les lois de la géographie, de l’histoire et de l’économie. On ne choisit certes pas ses voisins, mais, dans une telle situation, on a peu à gagner à ne pas coopérer plus étroitement.
Alibek Moukambaïev Central Asian Analytical Network
Durement touchée par la pandémie de Covid-19, l’Italie s’est sentie abandonnée par les pays de l’UE malgré ces appels à l’aide, alors que seule la Chine a répondu positivement.
Selon un sondage mené localement par SWG du 20 mars au 12 avril, 52% des Italiens considèrent la Chine comme un pays ami, soit une augmentation de 42% par rapport à l’année dernière.
La Russie, avec un taux de soutien de 32%, est deuxième sur la liste des pays amis. Les États-Unis sont troisièmes après une baisse de 12%, s’établissant désormais à 17%.
En ce qui concerne le pays avec lequel l’Italie devrait renforcer ses liens à l’avenir, 36% des Italiens ont choisi la Chine, tandis que 30% ont choisi les États-Unis.
Lorsque l’épidémie a éclaté en Italie, la Chine a envoyé plus de 31 tonnes de fournitures médicales à Rome, ainsi qu’une délégation d’experts médicaux, à la mi-mars, dans le cadre des efforts de la Chine pour aider l’Italie à contenir le coronavirus.
Le sondage a également montré que certains Italiens ont cité l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis comme pays ennemis, avec respectivement 45%, 38%, 17% et 16%.
L’Italie s’est sentie abandonnée au début de la crise, les pays européens étant réticents à partager les fournitures médicales indispensables avec elle, ce pourquoi le président de la Commission européenne a présenté ses excuses le 16 avril.
Ursula von der Leyen, a déclaré au Parlement européenne : «il est vrai que personne n’était vraiment prêt pour cela. Il est également vrai que trop de personnes n’ont pas été là à temps lorsque l’Italie avait besoin d’un coup de main au tout début», ajoutant «et oui, pour cela, il est juste que l’Europe, dans son intégralité, présente ses excuses sincères».
Par ailleurs, selon un sondage réalisé du 9 au 10 avril par le Tecne Institute, 49% des 1000 Italiens interrogés sont désormais favorables à une sortie de l’Union européenne, soit un bond de 20% par rapport à un précédent sondage mené fin 2018.
Le président chinois Xi Jinping a engagé son pays dans un projet pharaonique de routes commerciales qu'il veut ouvrir à travers le globe. Pour « La Story », le podcast d'actualité des « Echos », Pierrick Fay et ses invités en détaillent les visées économiques et les risques géopolitiques.
Sur terre et sur mer, la nouvelle route de la soie voulue par Xi Jinping a vocation à ouvrir des voies commerciales depuis la Chine jusqu'à l'Europe, en passant par l'Afrique. Pour y parvenir, des travaux colossaux seront engagés pour doter d'infrastructures les régions, parfois désertiques, traversées.
La Chine estime que sa « belt and road initiative » aura un impact sur plus de 4,4 milliards d'habitants, soit 63 % de la population du Globe. Et qu'elle pourrait peser sur 29 % du PIB mondial. Le flux de fret généré, dans un sens comme dans l'autre, serait l'opportunité pour les pays partenaires de se développer économiquement. Et pour les y aider, la Chine est prête à financer à crédit les travaux nécessaires.
Evoqué la première fois en 2013 par le président chinois, le projet a pris forme au fil des ans pour finalement intégrer la constitution du Parti communiste, devenant de ce fait objectif national. Prévu à horizon 2049, pour le centenaire de la République populaire de Chine, il doit redonner à la Chine son rayonnement millénaire, qui avait pâli à l'aube du XIXe siècle.
En aidant au commerce mondial et au développement de pays, l'entreprise peut séduire sur le papier. Mais beaucoup la voient comme une volonté hégémonique de l'Etat chinois de contrôler les échanges de biens et de peser sur la géopolitique.
Le moins que l’on puisse dire est que les dirigeants chinois ont (parfois) un sens aigu de la communication. En remettant au goût du jour les mythiques routes de la soie qui évoquent les épopées du « Livre des merveilles » de Marco Polo, ils couvrent leurs projets d’un voile attrayant. Celles du XXIe siècle se traduisent en routes, chemins de fer, centrales électriques… bien moins romantiques.
«Il y a plus de deux mille cent ans, Zhang Qian, émissaire de la dynastie des Han, fut envoyé à deux reprises en mission diplomatique en Asie centrale, (…) frayant la route de la soie qui s’étend de l’est à l’ouest et relie l’Europe à l’Asie. » Pour lancer son projet, le président Xi Jinping a convoqué l’histoire afin de frapper les imaginations, assurant, lyrique : « Je peux presque entendre le tintement des cloches accrochées aux chameaux et voir les volutes de fumée s’élever dans le désert » (1). Ainsi est né, ce 7 septembre 2013 à l’université de Nazarbaïev, au Kazakhstan, le programme-phare du président chinois, qui prendra le nom de « One Belt, One Road » (Une ceinture, une route) avant de devenir « Belt and Road Initiative » (Initiative ceinture et route). La formule est totalement incompré-hensible en français, et l’on parle plutôt de « nouvelles routes de la soie », ce qui est quand même plus chic.
À l’époque, ce discours passe quasi inaperçu. En Chine même, tout au plus l’expression est-elle reprise ici ou là comme on répète des éléments de langage. Il faut attendre huit mois, le 8 mai 2014, pour que l’idée prenne la forme de routes dessinées sur une carte de l’agence de presse officielle Xinhua : deux itinéraires terrestres qui traversent la Chine d’est en ouest, rejoignant l’Europe en passant par la Russie ou par l’Iran et la Turquie, ainsi qu’une voie maritime à laquelle viendra s’ajouter, bien plus tard, la route polaire (lire « L’Arctique échappe à Washington »). Les tracés restent flous, les projets aussi, mais la direction est affirmée.
En novembre 2014, un fonds souverain chinois, doté de 40 milliards de dollars (32 milliards d’euros), est mis sur pied. Dans la foulée, le président Xi relance l’idée d’une Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) ouverte à tous les pays. Malgré une intense campagne de l’administration Obama, qui y voit alors le premier pas vers un « transfert de leadership des États-Unis vers la Chine (2) », la plupart des pays occidentaux participent à sa création, Royaume-Uni, Allemagne et France en tête… De cinquante-sept membres à sa naissance, la BAII en compte aujourd’hui cent deux (3). Si la Chine possède un tiers du capital, les États européens en totalisent 20 %. Et, bien que Pékin domine, nul ne dispose d’un droit de veto.
Les tracés restent flous, les projets aussi, mais la direction est affirmée. Derrière ce label se profile la vision chinoise du monde
Au fil du temps, les nouvelles routes de la soie sont devenues une sorte de label estampillant aussi bien les projets purement chinois à l’étranger, ceux définis dans un cadre multilatéral avec la BAII ou tout simplement les résultats de relations bilatérales. Ces routes peuvent conduire bien au-delà de celle suivie par les antiques caravanes, et mener jusqu’au cœur de l’Afrique. Qu’importent l’histoire et la géographie, la géopolitique guide les pas chinois. Les fantasmes ne manquent pas et les superlatifs foisonnent puisque l’on annonce des enveloppes dépassant les 1 000 voire les 2 000 milliards de dollars. Le premier forum de la BRI, qui se tient en grande pompe à Pékin en 2017, met en scène cette valse des milliards, censée témoigner du retour de l’empire du Milieu dans les affaires de la planète.
Priorité aux infrastructures
Si, le plus souvent, on peine à distinguer les programmes clairement établis des vagues promesses, on aurait tort de n’y voir qu’une agitation verbale. D’une part, des constructions ont déjà démarré : routes, liaisons ferroviaires (Djibouti-Addis-Abeba [Éthiopie], ou encore Djakarta-Bandung [Indonésie], modernisation du réseau en Inde, etc.), ports en eaux profondes (Pakistan, Bangladesh…), zones industrielles de transit (Kazakhstan) mais aussi équipements électriques (centrales au charbon et hydrauliques au Pakistan), de télécommunications… D’autre part, ces nouvelles routes de la soie reflètent la vision chinoise du monde et du rôle que Pékin entend y tenir.
Ce n’est certainement pas un hasard si la Chine mise en priorité sur le développement des infrastructures. Cela correspond à son propre modèle de décollage : « Construisez une route et l’on deviendra riche », avait-on coutume d’entendre, il y a une vingtaine d’années, dans les villages chinois, car les marchandises et les personnes pouvaient alors sortir de ces lieux longtemps restés à l’écart. C’est l’option prise pour rattraper le retard des provinces de l’Ouest. Le modèle pourrait également servir aux voisins et pays bénéficiaires. La BAII a ainsi retenu six secteurs d’investissement : électricité, transports et télécommunications, développement urbain et logistique, approvisionnement en eau et assainissement, protection de l’environnement, infrastructure rurale et développement agricole.
Bien sûr, l’aspect mercantile des projets est le plus évident. Il s’agit d’offrir immédiatement des débouchés aux grands groupes chinois : beaucoup doivent faire face à de sérieuses surcapacités, tels les géants du bâtiment et des travaux publics (BTP) ou de la sidérurgie, quand d’autres doivent se préparer à la saturation de leur marché intérieur, telles les entreprises ferroviaires ou les équipementiers de l’énergie… À terme, cela facilitera également l’acheminement des produits industriels de grande consommation que les pays occidentaux risquent de délaisser progressivement.
De plus, en trouvant de nouvelles voies de communication, la Chine sécurise ses circuits d’approvisionnement et d’exportation, qui s’effectuent à 80 % par la mer, largement contrôlée par les États-Unis et leurs alliés (Japon, Corée du Sud, Taïwan…). Depuis le début des années 2000, les dirigeants sont obsédés par un éventuel barrage maritime voire un blocus américain. Ils veulent desserrer l’étau.
Pékin s’appuie sur les failles des institutions internationales, qui sont incapables de répondre aux besoins de développement
Mais Pékin a des visées plus larges, et cherche à accroître son influence géopolitique. Le pouvoir s’appuie sur les carences des institutions internationales nées de la seconde guerre mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et son pendant asiatique, la Banque asiatique de développement (BAD). Ainsi, cette dernière évalue à 22 500 milliards de dollars (21 200 milliards d’euros) les besoins d’infrastructures, entre 2016 et 2030, rien qu’en Asie (4), mais elle ne peut en financer que la moitié, au mieux — et encore, en exigeant des récipiendaires qu’ils mettent en œuvre des politiques d’austérité. Tout le monde a en mémoire les programmes d’ajustement structurel imposés lors de la crise asiatique de 1997-1998 qui ont provoqué des émeutes (cinq morts en Indonésie) et laissé les économies de l’Asie du Sud-Est sur le carreau.
Pas d’intervention de ce type avec la Chine, qui rejette toute ingérence dans les affaires intérieures. Pour autant, elle ne prête pas à l’aveugle, et ses intérêts sont préservés. Elle mêle allègrement fonds publics et fonds privés, capitaux chinois et capitaux occidentaux ou des pays d’accueil. En effet, elle tient au multilatéralisme jusque dans les financements — pour répartir les risques, mais aussi pour tenter de rassurer ses voisins inquiets de sa force de frappe financière et surtout pour montrer au monde que l’on peut dépasser l’unilatéralisme idéologique du FMI ou de la BAD (dont le président est japonais). Elle n’hésite d’ailleurs pas à associer celle-ci à certains projets de la BAII — laquelle avait retenu, fin 2018, trente-cinq programmes. Dans plus de la moitié des cas, d’autres partenaires (banques privées et fonds souverains) figuraient parmi les bailleurs de fonds (5). Pour preuve de l’indépendance de la banque, nous dit-on, l’Inde compte au rang des principaux bénéficiaires des prêts de la BAII, bien que les rapports sino-indiens ne soient pas au beau fixe…
Toutefois, les programmes menés et financés par cette banque demeurent très minoritaires. On estime qu’ils représentent entre 10 et 15 % de l’ensemble des projets labellisés BRI. Rien qu’en 2017, les banques commerciales comme la China Construction Bank (CCB), l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) et la Bank of China (BoC) affirment y avoir contribué à hauteur de 225 milliards de dollars, tandis que les banques d’État China Development Bank et EximBank y ont consacré 200 milliards de dollars (6). Sans parler des investissements directs.
Trois « corridors » ont été arrêtés avec des liaisons ferroviaires et routières, des plates-formes, des réseaux Internet, etc.
En Asie, trois « corridors » ont été définis comme prioritaires : le corridor économique Chine-Pakistan, qui est certainement le plus avancé, avec les centrales électriques, les réseaux de télécommunications et le port de Gwadar (7) ; celui intégrant le Laos et la Thaïlande (avec la construction de ports) ; et un autre impliquant le Bangladesh, l’Inde et la Birmanie, plus difficile à concrétiser.
Bien sûr, les nouvelles routes de la soie conduisent jusqu’en Europe. En mars 2014, le président Xi visitait, symboliquement, la gare de Duisbourg en Allemagne, terminus des onze mille kilomètres parcourus par les trains de marchandises venant de Chongqing, au cœur de la Chine industrielle. Quatre ans plus tard, on comptait cinq mille convois, contre dix-sept en 2011 ; mais cela ne représente que 1,5 % du trafic de fret. Le chemin de fer n’est pas près de remplacer les porte-conteneurs sur la mer. Pékin en a conscience, qui a massivement investi dans les équipements portuaires.
Profitant des politiques d’austérité et de restructuration imposées par l’Union européenne, les multinationales chinoises se sont emparées de la totalité du port du Pirée en Grèce, de terminaux portuaires à Valence et Bilbao en Espagne, et négocient des accords pour les ports italiens de Trieste (en liaison avec celui de Koper en Slovénie), de Gênes et de Palerme. Le 23 mars 2019, le premier ministre Giuseppe Conte et le président Xi ont signé un « mémorandum d’entente » créant des « synergies » avec la BRI. L’Italie n’est pas le premier pays de l’Union européenne à rejoindre les nouvelles routes de la soie — la Grèce, le Portugal, la Lettonie, la Croatie, la Bulgarie l’ont fait depuis longtemps. Mais c’est le premier membre du G7 à mettre ses pas dans ceux de la Chine, à la fureur de M. Donald Trump…
Des ports européens rachetés
Pour autant, les routes chinoises n’ont pas forcément la douceur de la soie. Les critiques montent contre le manque de transparence, les prêts distribués sans discernement, les projets pharaoniques parfois inutiles et souvent difficiles à rentabiliser, entraînant les pays en développement dans la fameuse « trappe à dette ». Une critique que rejette l’économiste Cheng Yiping, estimant qu’« il est curieux que les pays occidentaux nous accusent, nous, alors qu’ils ont poussé beaucoup de pays africains et sud-américains à s’endetter sans construire des infrastructures durables, utiles à ces pays. On construit des routes, des aéroports, des réseaux… ». L’argument n’est pas faux.
Toutefois, ce sont les entreprises publiques et les banques chinoises — et non les Occidentaux — qui ont conduit le Sri Lanka à s’endetter pour construire des équipements portuaires surdimensionnés, au point que le pays n’a pu les rembourser. En 2018, il est passé sous les fourches caudines d’une multinationale chinoise, China Merchants, qui, en échange de la dette, a obtenu la gestion du port et une concession de… quatre-vingt-dix-neuf ans. Cette perte de souveraineté a fait l’effet d’une bombe dans la région. La Malaisie, qui venait de changer de premier ministre, a suspendu un projet de liaison ferroviaire de 14 milliards de dollars (9,5 milliards d’euros) ; l’Indonésie a fait de même pour la ligne de train à grande vitesse Djakarta-Bandung ; le Bangladesh a choisi le Japon pour construire l’un de ses ports en eaux profondes (8) ; même l’ami pakistanais et son nouveau premier ministre Imran Khan ont réclamé une réduction du programme. 2018 fut vraiment une annus horribilis pour la « diplomatie du portefeuille » que manie si bien Pékin.
Le président Xi a fixé trois « obligations » : soutenabilité de la dette, croissance verte et aucune tolérance pour la corruption
Mais les dirigeants ne sont pas restés sourds. Comme l’explique avec humour Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur à l’Institut Thomas More, « les Chinois considèrent que les problèmes n’existent pas… mais qu’il faudrait quand même les résoudre (9) ». Ainsi, lors du deuxième forum de la BRI, qui s’est déroulé à Pékin, du 25 au 27 avril 2019, en présence de trente-cinq représentants de chefs d’État ou de gouvernement, M. Xi Jinping s’est attaché à répondre à ces critiques. La BRI « n’est pas un club fermé (…) destiné a servir les intérêts chinois. Elle s’est engagée dans la voie du multilatéralisme (10) », qui, selon lui, est le meilleur garant de la fiabilité des projets. Il a fixé trois « obligations » à respecter : « soutenabilité de la dette », « croissance verte » et « aucune tolérance pour la corruption ». Dommage qu’il soit resté discret sur les moyens de vérification.
Reste qu’en Malaisie, les Chinois ont dû revoir les projets à la baisse, et partager une partie de la facture pour que le gouvernement donne son feu vert. Même schéma en Indonésie où les travaux, dont la facture s’est réduite, ont repris ; au Bangladesh, où le deuxième port en eaux profondes a été attribué à des entreprises chinoises, ainsi qu’au Pakistan où le programme a quand même été rétréci.
Quant à l’Union européenne, elle a noué, en mars 2019, un accord avec l’agence fédérale américaine Overseas Private Investment Corporation, pour « offrir une solution de rechange solide aux projets de nouvelles routes de la soie » (South China Morning Post, Hongkong, 12 avril 2019). Pour l’heure, Pékin ne semble guère s’en émouvoir.
(9) Entretien à La Croix, Paris, 27 avril 2019. Emmanuel Dubois de Prisque est l’auteur, avec Sophie Boisseau du Rocher, de La Chine e(s)t le monde, Odile Jacob, Paris, 2019.
En Italie, Xi Jinping a promis une « nouvelle route de la soie » à double sens, pour tenter de désamorcer les inquiétudes autour des nouvelles routes de la soie de la part de Bruxelles et Washington.
L’Italie a signé un protocole d’accord « non contraignant » sur ce projet d’infrastructures maritimes et terrestres, a précisé le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte. L’accord a été plutôt mal accueillie par les partenaires européens de l’Italie.
Tentant d’unifier une approche européenne face à la Chine, Emmanuel Macron a estimé à Bruxelles que ce n’était « pas une bonne méthode de discuter de manière bilatérale des textes d’accord sur les nouvelles routes de la soie ».
Dans une interview au Welt am Sonntag, la ministre allemande des Affaires Etrangères Heiko Haas a indiqué que « si certains pays croient pouvoir faire de bonnes affaires avec les Chinois, ils seront surpris quand ils s’apercevront qu’ils sont devenus dépendants ».
Beijing et Rome ont accepté de coopérer dans les domaines de l’environnement, des énergies renouvelables, de l’agriculture, de l’urbanisation durable, de la santé, de l’aviation, des technologies spatiales, des infrastructures et des transports, ajoute le communiqué.
Après avoir signé un mémorandum d’entente avec le premier ministre italien, le président chinois Xi Jinping s’est rendu en France, où il a pu s’entretenir avec le président français.
Signature de contrats
Lors de cette rencontre, de nombreux contrats on été signés entre des entreprises chinoises et françaises. Ainsi, a été officialisée la vente de près de 300 avions par Airbus au groupe chinois « China Aviation Supplies Holding Company ». Le transporteur français CMA CGM va pour sa part acheter 10 porte-conteneurs à « China State Shipbuilding Corporation ». Ces opérations témoignent de la confiance des entreprises dans le développement des transports dans le monde.
D’autres contrats concernent spécifiquement le développement durable, mais aussi la finance.
Renforcer le dialogue Chine-Europe
Contrairement à l’Italie, la France n’a pas formellement rejoint l’initiative « Belt and Road », malgré l’intérêt très fort des entreprises et décideurs français pour ce projet. Pour Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre, la visite de Xi Jinping devrait être un nouveau départ des relations franco-chinoises.
Le président français cherche à créer une position européenne commune face au projet chinois. Il a ainsi invité Jean-Claude Juncker, président de la Commission et Angela Merkel pour une discussion avec Xi Jinping le 26 mars. Cette rencontre a été l’occasion de remettre les choses à plat entre la Chine et ses partenaires européens.
Pour Macron, « le choix de l’évidence et de la raison au 21e siècle est dans un partenariat eurochinois fort, défini sur des bases claires, exigeantes et ambitieuses ».
L’Europe reste méfiante face au projet des nouvelles routes de la Soie, et espèrent une plus forte ouverture du marché chinois pour ses entreprises. Cependant, malgré ces craintes, le dialogue Chine-Europe progresse comme en témoigne le prochain sommet UE-Chine qui se tiendra à Bruxelles le 9 avril prochain.
L’Europe n’est pas hostile aux investissements chinois sur le continent, et conduit sa propre politique en dehors de l’influence américaine concernant la Chine. La Commission européenne vient ainsi d’autoriser les entreprises chinoises, dont Huawei, à s’implanter dans le marché de la 5G en Europe.
Après avoir signé un mémorandum d’entente avec le premier ministre italien, le président chinois Xi Jinping s’est rendu en France, où il a pu s’entretenir avec le président français.
Signature de contrats
Lors de cette rencontre, de nombreux contrats on été signés entre des entreprises chinoises et françaises. Ainsi, a été officialisée la vente de près de 300 avions par Airbus au groupe chinois « China Aviation Supplies Holding Company ». Le transporteur français CMA CGM va pour sa part acheter 10 porte-conteneurs à « China State Shipbuilding Corporation ». Ces opérations témoignent de la confiance des entreprises dans le développement des transports dans le monde.
D’autres contrats concernent spécifiquement le développement durable, mais aussi la finance.
Renforcer le dialogue Chine-Europe
Contrairement à l’Italie, la France n’a pas formellement rejoint l’initiative « Belt and Road », malgré l’intérêt très fort des entreprises et décideurs français pour ce projet. Pour Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre, la visite de Xi Jinping devrait être un nouveau départ des relations franco-chinoises.
Le président français cherche à créer une position européenne commune face au projet chinois. Il a ainsi invité Jean-Claude Juncker, président de la Commission et Angela Merkel pour une discussion avec Xi Jinping le 26 mars. Cette rencontre a été l’occasion de remettre les choses à plat entre la Chine et ses partenaires européens.
Pour Macron, « le choix de l’évidence et de la raison au 21e siècle est dans un partenariat eurochinois fort, défini sur des bases claires, exigeantes et ambitieuses ».
L’Europe reste méfiante face au projet des nouvelles routes de la Soie, et espèrent une plus forte ouverture du marché chinois pour ses entreprises. Cependant, malgré ces craintes, le dialogue Chine-Europe progresse comme en témoigne le prochain sommet UE-Chine qui se tiendra à Bruxelles le 9 avril prochain.
L’Europe n’est pas hostile aux investissements chinois sur le continent, et conduit sa propre politique en dehors de l’influence américaine concernant la Chine. La Commission européenne vient ainsi d’autoriser les entreprises chinoises, dont Huawei, à s’implanter dans le marché de la 5G en Europe.
Créer un projet européen
Le plus important maintenant pour l’Europe est de créer un projet commun pour répondre à l’invitation chinoise de rejoindre la BRI. Les membres de l’Union doivent chercher à définir leurs priorités et à créer des synergies entre eux pour que d’une part le marché européen devienne attractif pour les investisseurs chinois, et pour que deuxièmement, la Chine voie dans l’Europe un partenaire capable de définir des objectifs à long terme.
Plus que jamais, la Chine et l’Europe peuvent ensemble construire la BRI.